Pourquoi Randolph?
Mise à jour 2018-06-05
« On vas-tu au Randolph ? » avez-vous sûrement lancé à vos amis ; « c’est vraiment cool le Randolph, y ont pleins de jeux qu’on connaît pas » qu’un autre aurait pu vous dire si vous n’y êtes jamais allé.
Oui mais bon. Pourquoi ça s’appelle le Randolph au juste ? Pourquoi ne pas avoir appelé l’endroit le Dice Pub par exemple, ou encore le Pub des Joueurs ? Et bien il faut savoir qui est Monsieur Randolph pour comprendre la réponse !
Monsieur Randolph, Alex de son prénom, est un créateur de jeux de société. Et là vous allez dire : « ok, d’accord. Alors ce serait lui qui aurait créé le Monopoly ? » Et la réponse est non ! Le Monopoly fut plutôt créé par une femme il y a plus de cent ans. Mais ça, c’est une autre histoire.
Alex Randolph a créé d’autres jeux que le Monopoly ; beaucoup, beaucoup d’autres jeux. Tellement de jeux en fait qu’il est bien possible que vous ayez joué à l’un d’eux sans savoir que c’était de lui. Mais là vous direz : « Intéressant. Mais y a des milliers de jeux sur le marché. Ce serait plutôt invraisemblable que ce Alex Randolph les ai tous créés. Et il n’a sûrement pas créé des vieux jeux comme les Échecs, les Dames ou le Poker.»
Ce à quoi nous pourrions répondre que non, effectivement, Randolph n’est pas responsable de ces classiques connus de par le monde ; et bien évidemment, Randolph n’a pas pu inventer tous les autres jeux qui existent.
Mais, alors, pourquoi appeler le pub au nom de Randolph ?
Voyons plutôt qui est Alex Randolph
Randolph est né un 4 mai en 1922, en Arizona. Il était fils unique d’un couple d’ambassadeurs de profession. Au terme de sa vie de 82 ans, qui s’arrêta en 2004 à Venise, c’est un concert de plus de 150 personnalités du monde du jeu qui lui rendra hommage par différents messages sur le web. Cet homme au visage grave mais au sourire invitant et à la voix chaleureuse (qui pouvait couramment s’exprimer en anglais, français, italien et allemand) était effectivement très apprécié et respecté de ses pairs ; sinon, littéralement admiré. Il faut dire que Randolph était loin d’être le genre reclus dans son hameau italien, là où il passa la dernière moitié de sa vie. C’était plutôt un homme de partage, d’ouverture et de générosité. C’était aussi un grand homme d’esprit, de raisonnement et de vulgarisation ; capable de cogiter sans cesse sur les notions qui définissent le genre humain et de les communiquer avec une grande aisance. Rien de surprenant quand on sait qu’il fut diplômé de philosophie et de sémantique. Ce qui surprend un peu plus toutefois, c’est le parcours professionnel de l’homme. Randolph a déjà dit avoir une grande attirance pour le danger ! C’est pourquoi il s’est retrouvé comme agent secret au service des alliés durant la Seconde Guerre mondiale. Son rôle était de déchiffrer les codes secrets repérés chez les Allemands. Une fois la guerre terminée, le philosophe de formation s’est ensuite retrouvé dans une agence publicitaire à Boston. « Il fallait faire de l’argent » disait-il quand on le questionnait sur ce choix professionnel. Ironiquement pourtant, le futur inventeur de jeux n’avait jamais pensé en profiter pour vendre ses idées ludiques.
Et des idées ludiques, il en avait. Constamment. « Tout ce qui ne touche pas au travail et à l’utile pour l’humain touche automatiquement au jeu » disait Randolph. Cette idée, le philosophe de formation en pris conscience le jour où il vit un enfant regrouper des roches et des bâtons dans le sable. « C’est ça être humain » se dit-il alors. Jouer, c’est classer ; c’est créer un ensemble, un monde, une autre vie dans laquelle on fait nos règles. Peu importe son âge, l’humain sera toujours obsédé avec l’organisation des choses. Pour Alex Randolph, il était tout naturel pour quiconque d’inventer des jeux puisque n’importe quel être humain « jouait » lorsqu’il ne travaillait pas. Alors il pris sa vision ludique de la nature humaine au sérieux.
C’est en 1957 que Randolph gribouilla son premier jeu sur un bout de papier. Inspiré du déplacement du cavalier (sa pièce favorite aux échecs) et féru de jeux abstraits pour deux joueurs, le philosophe donna ainsi naissance à Twixt. Mais ce n’est pourtant pas ce grand classique de l’auteur qui allait être sa première publication… En 1959, un agent entra dans son bureau publicitaire pour demander service à Randolph. Il remarqua alors un objet accroché au mur : une grille quadrillée de 10 X 10. Des pentominos accompagnaient cette grille. Il s’agissait là d’un prototype de Pan-Kai, un ancêtre direct de Blokus (un jeu que vous connaissez peut-être mieux mais qui n’est pourtant pas de Randolph). L’agent fit savoir à Randolph qu’il était possible de vendre son concept et de faire éditer sa création professionnellement pour faire des profits. C’est ainsi qu’Alex Randolph débuta sa carrière d’auteur de jeu !
Oui, on parle bien d’une carrière ici ; chose un peu invraisemblable et plutôt rare aujourd’hui, alors imaginez il y a 50 ans ! Car voyez-vous, c’est ça qui distingue Alex Randolph de beaucoup de créateurs de jeux. Sa passion pour les divertissements intellectuels était telle qu’il était prêt à s’y lancer pour en faire une profession. Il devint ainsi un pionnier. Si Monopoly, Scrabble et Clue avaient tous été le fruit d’auteurs comme Alex Randolph, ces titres demeuraient des concepts uniques pour leurs créateurs respectifs. Randolph lui n’allait pas s’arrêter à Pan-Kai. Il eut tôt fait d’être recruté par la compagnie 3M en 1961 afin d’y devenir, avec son ami Sid Sackson (un autre passionné de jeu aux ambitions créatrices comme lui), un auteur de jeu professionnel. La compagnie 3M souhaitait en effet développer à l’époque une ligne de jeux de société pour séduire un public adulte ; chose qui était alors inusitée puisque les Parker Brothers et autre Milton Bradley faisaient surtout dans les jeux pour la famille et les enfants. C’est avec 3M que Randolph a vu naître son fameux Twixt dans sa version commerciale. C’est aussi là qu’il pu donner libre cours à d’autres idées qui ont donné des titres tels : Breakthru (une variante du Tafl ou les échecs vikings), Oh-wah-ree (variante pour trois ou quatre joueurs du Mancala) et Evade (jeu de bluff aimanté !).
Mais Randolph est allé bien au-delà des publications chez 3M. Une fois son nom établi, c’est avec d’autres éditeurs qu’il pu poursuivre sa carrière : Parker Brothers (Scan, Square off, Turnier), Milton Bradley (Inkognito, Sacré chameaux !, Ghosts !) , Ravensburger (La Forêt enchantée, Big Shot, Stupide Vautour !) Avalon Hill (Moonstar), Rio Grande Games (Ricochet Robots), Haba (Leinen Los !), Schmidt (Top secret, Drachenfels, Ciao Ciao), et plusieurs autres encore. En fait, ce pionnier des auteurs professionnels de jeux a réussi à faire publier plus de 100 de ses créations ludiques originales. Même à la dernière année de sa vie, on voyait encore un nouveau titre de son cru arriver sur le marché (un jeu intitulé : Number One). « Mais encore ? » direz-vous ! Car, oui, il est fort possible que vous ne connaissiez aucun des titres sus mentionnés ! À l’inverse, vous direz peut-être que vous connaissez suffisamment le monde du jeu pour savoir que Randolph ne fut pas le seul créateur ludique à faire publier plus de 100 de ses œuvres.
Sauf que… Sauf que Alex Randolph, c’est aussi et surtout celui qui fut le tout premier porte-étendard du jeu de société en tant qu’objet de culture. Celui qui voyait la nature fondamentale de l’humain comme joueuse a aussi dit un jour : « Si j’avais été un explorateur ou un anthropologue découvrant une tribu encore inconnue du monde civilisé, ma première question à leur poser aurait été : ‘Quels sont vos jeux ?’. Ils en auraient certainement pratiqué quelques uns ». En ce sens, la culture pour Randolph était indissociable du jeu. Et la culture, c’est aussi l’identité et ce qui la distingue. C’est ce qui permet de reconnaître les différences dans ce que l’humain aborde à chaque jour. Dès lors, ce philosophe du ludique chez l’humain, ce fils d’ambassadeurs, ce pionnier des auteurs professionnels de jeux, Randolph donc, n’allait pas s’arrêter à se faire un nom pour sa carrière. Il allait user de sa notoriété pour insister à faire reconnaître cette carrière qu’il avait forgée à même sa vision de la vie.
La prochaine fois que vous viendrez au pub, jetez un coup d’œil sur la boîte de jeu que vous sortirez. Vous n’y verrez pas seulement le titre du jeu et la marque de la compagnie qui l’a produit. Vous verrez aussi un nom : celui de l’auteur du jeu. Pour Les Aventuriers du Rail, ce sera Alan R. Moon ; pour Catane, ce sera Klaus Teuber ; pour Dixit, ce sera Jean-Louis Roubira et pour Timeline ce sera Frédéric Henry. Au même titre que les films ont leurs noms de réalisateurs sur leurs affiches et que les livres ont leurs noms d’écrivains sur leurs couvertures, les jeux ont aujourd’hui aussi leurs noms d’auteurs. Parce que les jeux sont des produits qui se distinguent selon leurs créateurs et parce que plusieurs jeux d’un même auteur afficheront une caractéristique ou une règle qui reviendra souvent. Toute cette reconnaissance culturelle, c’est Alex Randolph qui s’est dévoué pour la faire reconnaître. En plus d’être un pionnier dans son domaine donc, Randolph fut aussi un défricheur pour ceux qui allaient le suivre. Il allait insister pour que les éditeurs inscrivent son nom sur les boîtes de jeux de son cru. Par le fait même, il allait aussi aider tous les autres après lui à faire de même. C’est en ce sens notamment qu’il s’est mérité l’admiration de plusieurs de ses pairs.
L’autre part d’admiration revient au fait qu’en penseur éternel du jeu, Randolph savait aussi quels étaient les ingrédients nécessaires à la création d’un jeu de société de qualité. Il les définissait ainsi : « Un bon jeu doit être facile d’accès dès la première fois qu’on y joue… il doit pourvoir créer des situations inattendues ou des surprises… il doit avoir des buts suffisamment bien définis pour empêcher les questionnements et les arguments entre joueurs… il doit être infiniment rejouable. »
Pour beaucoup d’auteurs de jeux à succès d’aujourd’hui qui connaissent Alex Randolph, cette vision du jeu fut un modèle à suivre. Et pour cause : elle permis à son émetteur d’en garantir une profession !
Alors, voilà. Un pionnier, un défricheur, une éminence grise du jeu de société qui a fait ses preuves maintes et maintes fois toute une vie durant. C’est ainsi qu’on peut résumer Alex Randolph. Et maintenant vous savez un peu mieux pourquoi le Randolph Pub ludique l’honore en portant son nom.